On ne peut pas brader
notre culture et notre langue !
Hélène Conway-Mouret
Ancienne Ministre déléguée, chargée des Français de l’étranger
Sénatrice représentant les Français établis hors de France
Vice-présidente de la Commission des Affaires étrangères,
de la Défense et des Forces armées
À l’heure où des décisions très importantes doivent être prises concernant la présence culturelle de notre pays et son rayonnement au travers, en particulier, des Alliances françaises, Hélène Conway-Mouret, ancienne Ministre des Français de l’étranger, aujourd’hui Sénatrice et Vice-présidente de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, lance un cri d’alarme…
Notre réseau linguistique et culturel à l’étranger : levier essentiel de la diplomatie d’influence de la France et de son attractivité.
La Fondation Alliance française connaît aujourd’hui de graves difficultés financières, qui mettent sa survie en danger. Le 17 janvier, cette situation a ainsi conduit cinq membres du Conseil d’administration et son Président, Jérôme Clément, à démissionner, alors que trois autres ont suspendu leur démission jusqu’au 30 avril. Outre son caractère exceptionnel, cet état de fait atteste de la gravité de la situation, notamment pour les salariés de la Fondation, qui se retrouvent dans l’incertitude quant à leur emploi.
La Fondation, reconnue d’utilité publique, mais indépendante de l’État, a son siège à Paris. Elle regroupe 834 centres présents dans 132 pays. Elle est en quelque sorte la « tête de pont » de ce réseau unique dans le monde, qui assure le rayonnement international de la France par la promotion de notre langue et la diffusion des cultures francophones et locales.
Les Alliances françaises accueillent ainsi plus de 460 000 étudiants et organisent près de 20 000 manifestations culturelles chaque année. Depuis la création de la première Alliance française en 1883, ces associations autonomes de droit local participent activement à la diplomatie d’influence de notre pays, dont chacun se prévaut, sans connaître la fragilité des outils qui la permettent. Très inquiète pour l’avenir de la Fondation, j’ai proposé un amendement en décembre dernier afin de lui apporter une aide financière lors du débat budgétaire sur le Projet de loi de finances 2018 et lui permettre ainsi d’avoir les moyens de poursuivre ses activités. Ce dernier a été retiré sur proposition du Ministre des Affaires étrangères qui m’a assuré qu’un audit financier était en cours. À ce jour, aucune nouvelle information ne nous a été transmise. Il est pourtant impensable que son avenir soit mis en péril, voire que la Fondation soit dissoute demain.
Dans toutes mes visites en circonscription, je rencontre les équipes de l’Institut français et des Alliances françaises, qui font un travail formidable pour faire vivre leur double mission linguistique et culturelle. Je le connais particulièrement bien pour avoir été longtemps membre du Conseil d’administration de l’AF de Dublin, la 3ème d’Europe après Paris et Bruxelles. Je reste attachée à cette « ONG culturelle », qui favorise l’écoute et la découverte, donne les moyens de mieux lire le monde et de comprendre les autres. Car c’est bien la mission principale de ces Alliances : favoriser l’enrichissement culturel et promouvoir la tolérance entre les peuples.
Le fonctionnement de la Fondation pour l’Alliance française repose sur un budget de l’ordre de 4 millions d’euros, comparable à celui d’un « petit commerce », auquel s’ajoutaient jusqu’à l’été dernier les subventions de la réserve parlementaire des députés et des sénateurs. L’une des premières mesures du Président de la République a été de supprimer cette source de financement, de l’ordre de 400 000 euros.
Cette réserve, de l’ordre de 2,76 millions, doit, certes, être remplacée par un fond de 2 millions d’euros, dont nous ne connaissons cependant encore rien de ses modalités d’attribution. Le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères apporte, quant à lui, un financement de 30 millions d’euros, pour assurer les salaires des 281 équivalents temps plein.
Quoiqu’il en soit, il est juste inconcevable que le Quai d’Orsay abandonne demain ce réseau d’État qui assure son soutien diplomatique au quotidien. Le Président de la République a annoncé le 20 mars, un plan pour la promotion de la francophonie, qui se traduit, notamment, par le rapprochement de la Fondation avec l’Institut français, établissement public qui organise des événements culturels à l’étranger et assure des cours de langue. Ces deux réseaux portent l’action culturelle extérieure de la France. Emmanuel Macron a ainsi confié à Pierre Vimont, Ambassadeur de France, la mission de formuler des propositions pour rapprocher encore le réseau public et associatif. Cette décision a pour objectif d’assurer une meilleure visibilité et lisibilité de notre action culturelle et linguistique. Si l’objectif est louable, il faudrait, dans un premier temps, que ces deux acteurs soient en capacité de dialoguer équitablement.
La Convention tripartite signée en 2012 avec le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a permis d’élaborer des actions de formation croisées ou conjointes, partager des plateformes numériques développées par l’IF (Culturethèque, IFcinéma notamment) au profit du réseau, ainsi que des dispositifs de programmation culturelle. Un travail a aussi été mené afin de garantir une véritable complémentarité pour éviter « les doublons ».
Deux options se présentent alors : soit le rapprochement se traduit par une fusion avec une seule tête et une seule tutelle, l’IF, mais l’indépendance des AF serait alors remise en cause ; soit on recentre la Fondation sur son cœur de métier – la gestion et l’animation du réseau des AF et la protection de la marque « Alliance Française » – et on laisse ainsi à l’Institut Français la promotion de la langue française. Cette deuxième option semble la plus probable, car elle permet de garder les identités de chacune des deux organisations. Je pense que ces deux organes de l’action culturelle extérieure de la France ont besoin d’un soutien budgétaire solide. Nous devons en faire une priorité. Notre patrimoine culturel mérite qu’on lui accorde enfin les moyens nécessaires pour mieux le valoriser. Dans cette période de contraintes budgétaires, on ne peut pas, pour des raisons purement financières, prendre dans la précipitation et sans concertation de mauvaises décisions qui braderaient notre culture et notre langue. Le décalage entre les discours très ambitieux du Président de la République et les réductions budgétaires qui se multiplient et affaiblissent d’autant nos acteurs culturels est trop grand.
Beaucoup de pays nous envient notre modèle pour la présence qu’il nous assure partout, avec autant de passerelles et de liens tissés qui rendent notre pays accessible et attractif.
Renforçons le !