Culture(s) papier, cultures d’avenir
par Laurent de Gaulle
Président de Culture Papier
Dans un contexte que l’on ose souvent définir comme de plus en plus numérique et soi-disant « dématérialisé », le papier pourrait, superficiellement au moins, passer pour le représentant du « destructeur de la forêt »… et donc, par extension logique, de l’environnement.
Tout citoyen français qui a aujourd’hui les moyens d’être abonné au gaz, à l’électricité ou au téléphone peut même lire, s’il reçoit encore ses factures par La Poste, au dos des enveloppes de certains fournisseurs, des incitations à recevoir ses factures par Internet « simple, pratique et gratuit » ou contribuer à « préserver l’environnement », alors que l’opération consiste simplement à transférer des coûts de papier, d’impression et d’affranchissement vers les clients-consommateurs.
C’est ainsi, l’univers du numérique a pensé que pour faciliter sa progression il fallait dénigrer le papier, laisser glisser ou faire courir les bruits sur le fait qu’il contribuerait fortement à détruire les forêts et que, par conséquent, il serait nuisible à l’environnement…
Effet de mode de courte durée ou propagande pernicieuse qui cherche à déstabiliser notre économie au profit de stratégies conquérantes et sans scrupules. Mais hélas, qui n’est pas sans conséquences pour nos entreprises, et nos emplois !
Au nom du monde qui bouge et qui change, de la révolution Internet et des compétences grandissantes de chacun en secrétariat multifonctions et autres plaisirs numériques, beaucoup nous expliquent aujourd’hui que nous vivons les derniers jours du papier, tout au moins pour ce qui concerne ses usages littéraires et journalistiques, bureautiques… et qu’en raison d’économies budgétaires et d’engagements en faveur de la nature, il faudrait supprimer le papier de l’éducation, de l’entreprise et de l’administration, presque de nos vies.
Considérons donc ces arguments au regard de la nature, des forêts, des économies de l’Etat et des entreprises en maintenant le même niveau d’information des citoyens, la même qualité de relations entre les êtres, la même liberté individuelle au sein de la société.
C’est une part de la démarche et du sens de Culture Papier, qui propose, à sa manière, par la mobilisation de toute une filière économique, la défense du support papier comme outil et moyen de partage utile, libre et irremplaçable au sein des sociétés humaines.
Mais prétendre que le numérique est dématérialisé est aussi peu crédible que de dire que l’eau ne mouille pas. Certes, les livres numériques prennent moins de place que les volumes papier, mais qui peut les lire sans une machine, des outils, une connexion, sans câbles, ni ondes, sans énergie et toutes les compétences nouvelles associées, ni téléchargement et compte bancaire ?
Avez-vous déjà lu un livre entier sur écran ? Nous demandait l’autre jour Dominique Wolton1,
Derrière les géants d’Internet et des appareils numériques, il y a d’énormes centres de production d’énergie et de stockage de données, des circuits de refroidissement gigantesques, des coûts financiers phénoménaux qui sont répercutés sur des millions de consommateurs auxquels on vend la prétendue « gratuité » de produits ou de services.
Et s’il faut saisir, bien sûr, toutes les opportunités qu’offrent les nouvelles techniques et technologies, ce qui se fait en particulier avec le développement de l’impression numérique à la demande, il faut aussi en voir les limites, notamment en ce qui concerne l’équilibre de nos sociétés.
Les neurologues et les chercheurs sur le cerveau humain nous éclairent sur la manière dont sont affaiblis l’apprentissage et la mémoire par la lecture sur écrans. Sans compter les dégâts sur la vision, le manque de concentration et d’approfondissement des connaissances. Les possibilités remarquables des outils numériques ne doivent pas nous faire oublier combien nous sommes humains, ni la diversité remarquable de tout ce qui se fait avec du papier !
La complexité humaine se nourrit aussi de perceptions sensorielles et, à cet égard, le papier procure tout ce qu’il faut de matière et de finesse pour satisfaire les sens et les émotions.
Notre combat pour défendre et promouvoir le papier, à cause de son utilité pour l’homme pensant, est aussi une affaire de santé publique, à la fois mentale et morale.
Nous sommes, en fait, à l’avant-garde d’un combat pour la liberté de penser et la diversité culturelle. Nous pensons qu’à côté du numérique et de ses innovations étonnantes, le papier ne cessera pas non plus de nous surprendre par son adaptabilité, sa pleine liberté.
Nos activités industrielles contribuent à faire vivre la forêt, à la revivifier même, au point que nous pourrions choisir comme slogan « la forêt est notre avenir, aidons-la à croître ». Les études de l’Office National des Forêts, du WWF2 ou de l’Ademe concordent notamment sur ce point.
Issu d’une matière première naturelle abondante et renouvelable, le papier ou le carton se recycle, ou se détruit de lui-même, parce qu’il est biodégradable. Recyclable et largement recyclé, mais pas encore suffisamment en France, il s’impose ainsi comme un matériau du futur.
Le livre est la première industrie culturelle française, avec près de 65 000 titres, nouveautés et nouvelles éditions, en 20113. Mais la culture des écrans s’est installée durablement en France aussi, avec son lot de mises à jour constantes des données encyclopédiques, son potentiel qui semble illimité et toutes les qualités que l’Homme parvient à y mettre.
Nous devons donc apprendre à concilier ces deux formes de culture, celle de l’immédiateté, de l’accessibilité quasi universelle et d’une forme de superficialité d’un côté et celle de la lenteur, de la hauteur, de la réflexion indispensables à la pensée humaine, de l’autre. Aujourd’hui, il nous faut rompre avec les discours faciles, couper court aux idées fausses et aux manipulations mercantiles qui nous vantent la gratuité, l’immatériel. Car, en fait, le papier et le numérique sont complémentaires et nous nous devons de le reconnaître : ils peuvent avoir un point commun, efficace et durable : être utiles aux Hommes.