Il faut une harmonisation
des règles au niveau européen
Michel Savin est sénateur de l’Isère et plus particulièrement de la vallée du Grésivaudan qui a réuni au XIXe et jusqu’au tiers du XXe une concentration géographique de l’industrie papetière. Aujourd’hui, la région a perdu de sa splendeur cellulosique pourtant, quelques entreprises parviennent à lutter contre vents et marées. Mais Michel Savin s’insurge contre la concurrence déloyale des autres pays. Le point avec Patricia de Figueirédo, de l’Observatoire de l’Édition et des Papiers de Presse.
Cette partie de l’Isère a connu ses heures de gloires dans la production papetière, quelle est son histoire ?
Le Grésivaudan est le berceau de la houille blanche – l’énergie de l’eau des glaciers avec les chutes de Belledonne qui ont été exploitées pour l’industrie – qui participait à cette richesse. Les précurseurs, Aristide Berges et Amable Mathusière ont créé les premières papeteries de Pontcharra. J’ai été maire de Domaine, une commune de 7000 habitants et dans les années 60, les papeteries étaient le poumon économique du Grésivaudan, elles employaient presque 1000 personnes, des familles entières. J’ai, moi-même, commencé dans l’industrie papetière comme ouvrier-mécanicien au service entretien. La baisse d’activité s’est fait sentir dans les années 80. Jamais on n’aurait pu imaginer que la ville puisse continuer à vivre sans les papeteries ; les gens étaient fiers de leur travail et de leurs produits.
Dans le département, 7 à 8 papeteries produisaient 150 000 tonnes de papier par an, ce qui représentait 5% de la production nationale et près de 25 % sur le Sud-Est. Elles ont été remplacées par des entreprises de micro-électronique mais qui ne répondent pas au profil des personnes qui travaillaient en papeterie.
Cette tendance à la diminution des papiers dans les administrations ne contribue-t-elle pas à accélérer ce marasme ?
Ce qui a mis en difficulté la papeterie, c’est la concurrence avec les autres pays, où le papier n’est pas produit avec les mêmes charges sociales, le coût de la main d’œuvre n’est pas le même. En France, nous ne sommes pas compétitifs. De plus, nos industries – et il faut s’en réjouir- doivent appliquer des normes environnementales, de sécurité, d’hygiène, que les autres pays, qui sont nos concurrents, ne respectent pas. Ce n’est donc pas le fait de moins utiliser du papier qui a mis en difficulté les papeteries.
Les machines de nos papeteries ont été réinstallées dans des pays comme la Chine ou les pays de l’Est ; à l’exception de marchés de niches de haute qualité mais qui produisent de petites quantités, la France ne pourra pas être compétitive sur les grosses productions, tant que les règles n’auront pas changé.
Ces dernières années, les entreprises investissaient plus pour mettre aux normes leur entreprise que sur leur outil de travail. Cela pose des questions car si on le fait en France, il faut le faire dans tous les autres pays.
Comment pourrait-on travailler au niveau européen ?
Il faudrait que l’Europe arrive à harmoniser les règles et règlementations. Sur des grands thèmes comme la protection sociale, l’environnement… il est impératif que les règles appliquées soient identiques, et cela ne concerne pas seulement les industries papetières.
Si on veut arriver à construire un modèle européen qui soit compétitif, il faut mettre en place une vraie harmonisation. La compétition et la concurrence sont de bonnes choses mais il faut jouer avec les mêmes règles.
La filière papier-carton est un modèle d’économie circulaire mais est-elle mise assez en avant ?
Sans doute pas assez. Mais j’ai encore visité l’entreprise Vicat à Vizille, une papeterie qui propose des papiers de luxe, des papiers pour l’édition, tout comme des papiers de cuisson et qui fabrique également des sacs alimentaires ou pour le ciment. Elle va chercher de nouveaux marchés sur les niches spécifiques que sont l’emballage et le conditionnement de produits de luxe. Je pense qu’il y a encore des possibilités sur le papier et le carton. Il a en effet été dévalorisé à une certaine époque et il faut, comme Culture Papier le fait depuis le début, déployer une politique pour relavoriser le papier carton. Mais cela va-t-il recréer des papeteries sur notre territoire ? L’objectif est à ce niveau car si c’est pour consommer du papier qui vient de Chine et qui est parfois transformé dans les cales des bateaux qui le transportent, on imagine les conditions de vie des ouvriers ! Alors dans ce cas, il est préférable de réduire sa consommation de papier.
Quelles sont les raisons d’espérer ?
Il y a des circuits courts qui peuvent se mettre en place ; nous avons des forêts qui peuvent être valorisées et nous sommes en train de travailler sur la reconvention des friches, mais il est difficile de trouver des montages financiers car les coûts sont conséquents, ils faut parfois démolir les bâtiments ou du moins dépolluer les sols. Cependant, la région a de grands atouts dans l’innovation, à l’image du Grenoble INP – Pagora CTP qui sont des viviers de recherche incroyables.
Propos recueillis par
Patricia de Figueirédo