Le Président Emmanuel Macron remet la Légion d’Honneur à Alain Malraux


Chevalier de la Légion d’Honneur
Chevalier de l’Ordre National du Mérite
Commandeur des Arts et des Lettres
Président de la Commission Malraux, instituée dans le cadre des célébrations du cinquantenaire de la création du Ministère de la Culture, Alain Malraux, s’est vu remettre la Légion d’honneur au cours d’une brillante cérémonie au Palais de l’Elysée par le Président de la République.
À ses côtés notamment Michel Drucker ou Philippe Labro qui faisaient partie de la même promotion, ainsi que de nombreuses personnalités, de François Bayrou, ayant quitté Matignon pour assister à cet hommage, à un autre Premier ministre, Bernard Cazeneuve, en passant par la Ministre Rachida Dati, le Président du Conseil Constitutionnel, Laurent Fabius, et beaucoup d’artistes, au premier rang desquelles Brigitte Fossey…

Monsieur le Premier ministre,
Mesdames, Messieurs les ministres,
Monsieur le Premier ministre, Cher Bernard,
Monsieur le Président du Conseil constitutionnel,
Madame la Sénatrice,
Monsieur le Chancelier de l’Institut,
Monsieur le Secrétaire perpétuel de l’Académie des Beaux-Arts,
Mesdames et Messieurs, en vos grades et qualités,
Chers amis,
Alors, à mesure que l’on égrène la liste des destins célèbres ce soir, Philippe LABRO, Michel DRUCKER, Jean-Michel WILMOTE, Olivier NAKACHE, Éric TOLEDANO et Alain MALRAUX, c’est comme s’il retentissait le générique de Champs-Élysées sur tapis rouge au studio Gabriel. Naturellement, nous sommes à l’Élysée et c’est plutôt la Marseillaise qui rythmera dans nos têtes cet hommage de la Nation. Il n’en demeure pas moins que chacun le sent, ce soir est un soir de fête, fête de l’esprit, fête de la culture, fête populaire.
(…)
Monsieur Alain MALRAUX, 11 juin 1944, en Corrèze.
La veille, la division Das Reich a massacré les habitants d’Oradour. Ce jour-là, à la mairie de Dôme, ce jour-là, oui, deux femmes se présentent. La première, Josette, est la compagne d’André Malraux ; la seconde, Madeleine, professeure de piano au Conservatoire de Toulouse, a épousé Roland, frère du précédent. Roland a été arrêté. André, lui, se cache dans les maquis. Les deux femmes viennent déclarer la naissance d’un petit garçon à qui furent donnés cinq prénoms. Le premier : Montgomery, honneur au vainqueur d’El Alamein, et trois autres ensuite : André, Roland, Claude : prénoms de son père et de ses oncles. Le dernier, enfin, Alain. “À peine arrivé, en somme, j’étais déjà commémoratif” : c’est vous-même qui l’écrivez avec cet humour pince-sans-rire, plein d’autodérision, cet esprit élégant et mélancolique qui est le vôtre.
Oui, à peine arrivé, vous étiez l’enfant d’un siècle fait de tragédie, d’héroïsme et de chagrin. Car ces cinq prénoms s’accolaient à un nom de légende, MALRAUX. Un nom comme un destin. MALRAUX, comme Roland, votre père, qui, avec ses deux frères, Claude et André, entrèrent en Résistance. Roland fut arrêté à Brive en mars 44, déporté en Allemagne et mourut un an plus tard, à l’âge de 33 ans. Claude, son petit-frère, arrêté à la tête d’un groupe de 80 résistants de Rouen, mourut lui aussi en déportation. Il avait 23 ans. MALRAUX, ce nom d’une fratrie indissoluble dans la Résistance. À l’heure où la Nation a rendu hommage, huit décennies après, à ses libérateurs, comme à Colmar, voilà 10 jours, ville libérée, entre autres, par cette brigade Alsace-Lorraine, commandée par le colonel Bergé, alias André Malraux. Je veux rendre un hommage particulier à ce dernier et à ses deux frères, Claude et Roland.
Cher Alain, depuis toujours, vous veillez sur leur mémoire, enfant de cette tragédie qui fit de vous un orphelin dès la naissance. Un drôle d’orphelin, puisque fidèle à la promesse faite à Roland, son frère, André vécut avec votre mère, et de ce jour, vous considéra comme son fils, vous adoptant finalement. Commença ainsi une enfance dans le cercle des MALRAUX. Cercle formé par André, bientôt requis par ses responsabilités ministérielles, par votre mère Madeleine, qui vous transmit son amour du piano, par Florence aussi, votre complice éternelle. Florence Malraux, qui vous initia au souffle de la nouvelle vague, au grand air de Mai 68. Florence Malraux la révoltée, car comme vous l’écrivez, son père André fut le seul gaulliste à qui elle acceptait de serrer la main. Cercle familial pourtant marqué aussi par le deuil et le silence. Deuil des deux enfants d’André Malraux : Vincent et Gauthier. Vos deux grands-frère disparus dans un accident de voiture après la mort de leur propre mère.
Violence et tragédie de ces années de déchirure française que toute la famille vivra dans sa chair quand, en 62, l’OAS fomenta un attentat contre le domicile familial. Crime qui blessa une jeune fille logée au rez-de-chaussée. Enfance marquée par le silence. Silence de cet hôtel particulier de Boulogne, meublé d’un piano, de quelques fleurs, d’un bureau d’écrivain, décor de votre musée imaginaire. Scène originelle d’une enfance extraordinaire où passaient Romain Gary, Maurice Schumann, François Sagan, Georges et Claude Pompidou.
De ce nom, MALRAUX, oui, vous auriez pu être prisonnier. « L’art, a écrit André Malraux, c’est un anti-destin, un remède à la fatalité. » Alors, par l’art, par l’exercice infini de votre liberté, vous avez écrit votre anti-destin, car votre vie tout entière est une ode à la liberté. Liberté par la musique, le piano que vous pratiquez encore aujourd’hui, en apprenant, en écoutant, humble disciple d’Horowitz, silhouette de votre enfance dont vous avez traduit la biographie, le piano que jouait votre mère, Madeleine, et lorsqu’elle se produisait en concert, vous passiez le récital à trembler pour des fausses notes qui, bien sûr, n’arrivaient jamais.
Liberté par l’opéra aussi, vous qui avez été de 1970 à 1974 producteur de deux émissions à l’ORTF,
« Harmonique » d’abord, « Demain l’Opéra ».
Vous transmettiez votre passion. Le théâtre, ensuite, peut-être la grande affaire de votre vie, en tout cas, l’une de vos patries. Vous avez écrit « Là où vous êtes ». Vous avez traduit de nombreux textes pour les planches, Strindberg parmi tant d’autres, pour une mise en scène en 2005 d’Hélène VINCENT. Le théâtre, surtout, vous le connaissez par cœur, de Britannicus à Anouilh, et vous en tenez toujours la chronique dans Service littéraire.
La liberté, la liberté par la musique, la liberté par l’écriture. En 1978, alors que vous êtes attaché culturel à Brasilia, vous croisez la route de Jacques Chancel. Ce dernier vous met au défi. Si vous écrivez un livre sur MALRAUX, il vous présentera un éditeur. Et si le livre est édité, il vous invitera à Radioscopie. Vous vous exécutez. Mieux, vous achevez un ouvrage magistral, « Les marronniers de Boulogne », où, comme Proust, vous trouvez la langue pour ressusciter le temps perdu, l’enfance évanouie, les personnages qui, tels Swann, distillent une mélancolie sophistiquée. Vous-même, d’ailleurs, semblez appartenir en quelque sorte à cette tradition des Guermantes, celle des salons et de l’esprit où la conversation est érigée au rang des beaux-arts, et vous ne cesserez jamais de continuer ce fil de la littérature jusqu’au passage des grelots, tombeaux pour vos chers disparus : la littérature, le théâtre, l’écriture, les voyages.
Oui. Les voyages, autres chemins de liberté. Alors le Brésil, donc. Mais vous partez aussi à New York, où vous porterez la flamme de la culture et de la création française. Et sous le patronage de Bernadette CHIRAC, vous créez en 2007 une scène théâtrale en Amérique. Et ainsi, entre la 5ᵉ Avenue et Central Park, purent résonner les tirades de Cocteau ou Yourcenar.
Sur ces chemins de la liberté, un refus : la politique. Vous dites non à Jacques Chirac, maire de Paris, qui vous presse de travailler avec lui. La dernière fois, je le crois, que vous êtes venu à l’Élysée, c’était voilà 30 ans, pour célébrer l’entrée au Panthéon d’André Malraux, idée que vous aviez portée auprès du Président CHIRAC et de Pierre Messmer. 30 ans plus tard, votre famille s’est agrandie, une génération a passé, mais vous n’avez rien perdu de cette folle liberté qui est la vôtre. Parce que le meilleur remède à la fatalité, ce fut aussi d’inventer et d’inventer une famille pétrie de bonheur.
Aujourd’hui, vos enfants sont là, Laurent, Céline, Anne, nourris de théâtre et de mots, Ils sont venus avec leurs enfants, avec leur mère, Priscilla, avec cette tribu qui n’a pour vous qu’affection. Cher Alain, vous citez souvent cette maxime de La Bruyère, “chercher seulement à penser et parler juste”. Vous en êtes. Et dans toutes ces décennies de création et d’engagement, vous avez pensé, parlé et écrit juste. Mais surtout, vous avez vécu libre.
Alors, pour ce destin si singulier, pour cette vie au service de la littérature, de la création, de la musique et des arts, pour ce destin si français qui est le vôtre, je suis très heureux et très fier, au compagnonnage de ces dernières années, et ajoutant à tout le reste, de vous remettre les insignes de chevalier de la Légion d’honneur.
(…)
Monsieur Alain MALRAUX, au nom de la République française, nous vous faisons chevalier de la Légion d’honneur.

