La filière papier est sur le fil du rasoir !
Serge Bardy
Député du Maine-et-Loire,
Membre de la Commission du Développement durable
et de l’Aménagement du territoire
Pourquoi êtes-vous entré en politique ?
Par un souci de partager, avec d’autres, des idées. Mes parents, des commerçants, ne parlaient pas politique. Mon premier contact a eu lieu au foyer des jeunes travailleurs de Nantes où je faisais un apprentissage de mécanicien automobile… Je me suis rendu à une première réunion du PSU et cela m’avait intéressé. Puis, j’ai participé à la vie associative, dans les domaines culturels et sportifs et d’aide à la personne. Par la suite, je me suis engagé dans le syndicalisme, à la CFDT et progressivement j’ai glissé vers la politique. À l’époque, les deux n’ étaient pas séparés. J’ai fait la campagne de Jean Monnier, en 1976, qui a été élu premier maire de gauche à Angers. C’ est une histoire qui s’ est construite et qui a évoluée au fil du temps avec, certes, un engagement personnel, mais en équipe. Par principe, je ne travaille pas seul, mais en étroite collaboration avec mes adjoints, à Paris avec Gauthier Givaja et mes deux collaboratrices en province.
Vous avez été nommé, par le premier Ministre Jean-Marc Ayrault et prorogé par Manuel Valls, pour une mission interministérielle sur l’avenir de la filière papier en France et sur les perspectives de restructuration de cette filière autour du papier recyclé… Quelles sont les conclusions de votre mission ?
La filière « papier recyclé » fait partie des industries françaises qui sont à la limite de la disparition. Une étude a été faite qui répertorie trois filières en très grande difficulté. Celle du papier se situe juste après, sur « le fil du rasoir ». Elle a connu une récession importante, structurelle avec le numérique et conjoncturelle avec la crise économique. Et particulièrement en France, où les investissements nécessaires n’ ont pas eu lieu. De plus, il y a eu une demande, par rapport au papier recyclé, qui n’a pas été suffisante et nous le constatons encore aujourd’hui. Cette demande pourrait être faite par des marchés publics, mais elle ne vient pas. Il y a donc une vraie problématique, car plus l’exigence de la demande est forte, plus les prix seront compétitifs et plus les investissements potentiels seront possibles. Il nous faut regarder l’ enjeu global aussi bien au niveau des ressources – récupération, collecte, tri du papier – que de l’industrie de la fabrication de pâte à papier, la distribution et la demande. Désormais, si nous voulons lui redonner vie et compétitivité face aux marchés internationaux, il faut nous préoccuper de la demande et de l’investissement pour être des acteurs européens et peut-être mondiaux. Nous sommes en France l’un des seuls grands pays qui importons du papier et du papier recyclé.
Alors qu’en 2008 nous étions encore exportateurs ! Ce qui montre l’état de dégradation et de transformation de la filière qui s’appuie sur trois vecteurs : papier graphique, d’emballage et d’hygiène. Le graphique est le plus en difficulté par rapport au papier d’emballage qui se maintient voire peut se développer – on le voit par des rachats d’entreprises de papiers graphiques qui sont transformés en sites pour papiers d’emballage.
Quant au papier d’hygiène, il connaît une phase de développement. Tous les pays qui ont réussi leur reconversion du papier graphique, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, se sont appuyés sur deux fondamentaux : une demande toujours élevée et la compétitivité des entreprises par les investissements. Bien avant nous, ils ont eu des exigences pour du papier recyclé et sur des investissements capitalistiques. À titre d’exemple, le Portugal a bénéficié de prêts bonifiés pour pouvoir investir dans du matériel compétitif.
Quelles sont les raisons de votre engagement pour cette activité ?
Dans le papier recyclé, je retrouve les trois grands domaines qui me tiennent à cœur : l’emploi, l’insertion professionnelle via la récupération et le recyclage. Et, il reste des progrès à faire dans ce sens, notamment en terme de compétitivité, d’exemplarité de l’Etat et des collectivités territoriales – en passant commande – afin de donner aux industriels la capacité d’être compétitifs.
La mission se termine et a pour particularité de faire des recommandations pour que la filière trouve des perspectives de développement. Je voudrais souligner le travail que nous menons, en particulier au niveau de la méthodologie. Par rapport à d’autres missions parlementaires ou ministérielles, nous avons commencé par réunir tous les députés qui avaient travaillé de près ou de loin sur des sujets ayant trait soit à la réinsertion, soit à l’économie sociale et solidaire avec le Président du Groupe d’études, Jean-René Marsac, mais aussi avec Philipe Noguez, Jacques Krabal, François-Michel Lambert pour l’économie circulaire et avec Dominique Potier, Jean-Yves Caullet, pour leur travail sur la filière bois.
Ensuite, nous avons réalisé une soixantaine d’auditions, rencontré 150 personnes et effectué une quinzaines de visites de sites afin d’ être très imprégnés par le sujet. A mi-parcours, nous avons réuni toutes les personnes auditionnées au Palais d’Iéna et organisé un atelier au cours duquel nous avons présenté notre perception de la filière et de son modèle, ses atouts et ses difficultés. Nous avons alors confronté nos impressions. Cette démarche a été appréciée, car tous les participants ont pu partager leurs avis avant que le rapport soit finalisé. Nous avons fait la même chose en province, à la CCI d’Angers, avec une quarantaine de personnes. Trois auditions groupées – avec un expert et un député pour être le plus pertinent possible et pour répondre le plus concrètement aux attentes – ont également été réalisées sur trois sujets : l’économie, le social et l’environnemental.
Vous faîtes partie des 41 députés qui se sont abstenus lors du vote de confiance au Premier ministre… Vous ne souhaitez pas que Manuel Valls réussisse ?
Tout au contraire ! Et je suis très soucieux que cette démarche soit positive et permette à ce gouvernement et à notre Président de la République d’avoir des résultats tangibles; mais je suis vigilant sur l’équité et la contrepartie. Ayant travaillé dans l’industrie toute ma vie, je suis attentif à ce que les milliards qui vont être donnés aux entreprises soient réellement mis dans l’investissement et le recrutement. C’est un impératif pour moi. S’il n’y pas de demande, il n’y aura pas de compétitivité ! Et ma mission sur la filière papier l’a démontré.
Qu’auriez vous souhaité de plus par rapport à la proposition de Manuel Valls ?
Les choses devraient se faire par pallier. Donner en priorité cette affectation au plus près des demandeurs, c’est-à-dire les PME et TPE : elles en ont bien plus besoin que le monde bancaire ou celui de la grande distribution, qui devrait mieux « protéger » ses fournisseurs. D’autre part, j’aurais aimé qu’une partie de ces fonds soient destinés aux Français, afin qu’ils aient le sentiment que leur pouvoir d’achat va s’ améliorer en même temps que les entreprises vont se développer. Cela, je ne le perçois pas. En aidant le gouvernement à aller dans cette voie, nous contribuerons à sa réussite.