Quelle place aujourd’hui pour la langue française
au cœur de notre société ?

par Gabriel de Broglie
de l’Académie française,
Chancelier de l’Institut de France

Dans le cadre des commémorations liées au 40ème anniversaire de la disparition d’André Malraux et au 20ème anniversaire de son entrée au Panthéon, la Commission a souhaité l’ouverture des colonnes du Journal du Parlement au Chancelier de l’Institut de France, Gabriel de Broglie, de l’Académie française, pour qu’il puisse rédiger un article exclusif à l’occasion de la récente réforme orthographique…


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J’ai maintes fois eu l’occasion de déclarer mon attachement pour la langue française. Il ne faiblit pas. Nous avons tous en nous-mêmes un élément commun. Il affirme qui nous sommes, ce que nous pensons, comment nous comprenons le monde et les gens qui nous entourent. Il s’agit de notre langue que nous trouvons belle. Léopold Sédar Senghor, dans la postface de son recueil Ethiopiques, dit qu’elle est « la langue des dieux ». Aimer, apprendre, parler la langue française avec ferveur et précision me semble à la fois un acte de reconnaissance, une affirmation de soi et un facteur de sérénité inégalables au sein de notre société. Selon Albert Camus, « mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde »… Nous sommes en 1944 et la question lui paraît essentielle. Il y revient dans L’homme révolté : « La logique du révolté est […] de s’efforcer au langage clair pour ne pas épaissir le mensonge universel » et pour conclure : « ma patrie, c’est la langue française ».

La langue irrigue la société. Nous avons besoin d’être assurés dans notre compréhension de l’autre pour nous permettre de le rencontrer. Il nous est également nécessaire de toucher chaque jour la vérité des choses en s’exprimant de façon à ce que nos paroles, notre expression soient claires, compréhensibles, ayant du sens, en un mot honnêtes. La langue est facteur d’unité, de concorde. Non, il n’est pas anecdotique de se battre pour que le français soit bien écrit, bien exprimé, que la richesse de son vocabulaire soit connue des jeunes et des moins jeunes. Cela concerne chacun de nous et chaque membre de la communauté nationale, indépendamment de son histoire ou de ses racines. Le français est facteur d’intégration et promesse d’avenir. Faire partie d’une communauté ne dépend pas d’où l’on vient, mais de la volonté de partager des valeurs communes. La maîtrise de la langue nous ouvre à la culture. Combien de personnes dans le monde nous donnent à entendre un français parfait ! Comment une telle démarche ne serait pas exigeante aussi au sein de notre communauté nationale ? Dans les périodes troublées, la maîtrise du français (lecture, écriture) redevient un enjeu prioritaire. Au lendemain des attentats de janvier 2015, lorsque la République a mobilisé l’école, il a été hautement et officiellement affirmé : « il n’y a pas de possibilité d’argumentation si les enfants manquent d’aisance dans le maniement de la langue ; il n’y a pas de débat possible si la capacité d’écouter l’autre pour le comprendre n’a pas été éduquée ; il n’y a pas d’accès possible à une culture de la raison et du jugement si le goût des idées, le plaisir de penser par soi-même dans l’échange avec d’autres, la capacité à comprendre des textes (…) n’ont pas été développés dès l’école primaire ». Il faut dire, le redire et que cela soit entendu. C’est un enjeu pour la vie de chacun, pas seulement un outil pour l’enseignement et l’administration. Oui, la grammaire, l’orthographe, la lecture sont autant de leviers pour faire tomber les cloisonnements et les peurs et permettre à chacun de construire son univers social et culturel. L’enseignement de la langue française est la clé de tous les enseignements. Il constitue un enseignement indispensable. Il a d’ailleurs été conçu comme tel, au XIXème siècle, de façon très ambitieuse, obligatoire, universelle. Car l’enjeu était important : c’était la condition d’ouverture aux autres savoirs et à la vie de citoyen. Maîtriser la langue française a été l’un des socles et l’un des ciments du régime démocratique, de la République. Le français n’a pas alors été compris comme une discipline comme les autres ou comme une discipline secondaire, bien au contraire. Il a été la base indispensable et préalable à tous les autres savoirs. Il est la base de toutes les disciplines et le demeure, d’où l’importance de ne pas bouleverser les calendriers d’apprentissage. La mission de l’enseignement primaire est bien de permettre à tous les enfants de savoir lire et écrire et, en conséquence, de savoir s’exprimer et de se faire comprendre. Cette manière d’intégration vaut certes pour les nouveaux arrivants. Mais cela vaut, ô combien également, pour tous les enfants. Il n’est pas concevable de composer avec ce principe. L’Académie française s’est prononcée en ce sens en février dernier, je la cite : « Plus que la maîtrise de l’orthographe, défaillante, c’est la connaissance même des structures de la langue et des règles élémentaires de la grammaire qui fait complètement défaut à un nombre croissant d’élèves, comme le montrent les enquêtes internationales menées ces dernières années, qui, toutes, attestent le net recul de la France par rapport à d’autres pays européens dans le domaine de la langue. En conclusion, pour l’Académie, il est urgent d’engager dès l’enseignement primaire le redressement souhaité par tant de nos concitoyens, en rétablissant les conditions d’une vraie transmission du savoir. Tel est l’enjeu d’une réforme véritable de notre système éducatif, qui placerait de nouveau l’acquisition et la maîtrise des connaissances au cœur de ses préoccupations et dont des dispositions incidentes ne permettent pas de se dispenser ». Mobilisons les forces vives du français pour renforcer la compréhension et la cohésion entre les Français.

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